La Grande Tribu, Victor-Lévy Beaulieu l'annonce depuis 1973. Au fil des ans, il en a fait sept versions de mille pages qui n'ont jamais vu le jour parce que, même terminées, elles restaient toujours inachevées.
Une fois rendu dans ses grosseurs James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots, VLB a éprouvé l'urgence de revenir à la Grande Tribu. Pourquoi? Dans ce Québec équivoque et incertain dans lequel on vit, peut-on inventer un personnage de roman qui soit totalisant, donc porteur à lui seul de ce qu'il y a dans l'idée de la race, de la nation et de la patrie, et qui soit, non un perdant, mais un gagnant?
C'est ce à quoi se colletaille Habaquq Cauchon, le narrateur de la Grande Tribu, en fouillant si loin dans le passé qu'il découvre que ses ancêtres, avant leur venue en Kebek, étaient pour moitié hommes et pour moitié cochons, et que leur côté grotesque en a fait des hors-la-loi, des rebelles et des insoumis. Après quatre cents ans dans le Nouveau Monde, que reste-t-il du corps et de la tête de cochon qu'on avait à l'origine? Et ce corps-là et cette tête-là de cochon peuvent-ils non seulement résister à toutes les répressions politiques, culturelles et sociales qu'on leur inflige, mais se renforcer au point de faire venir la révolution et de l’apporter jusqu'à la fraternité, l'égalité et la liberté?
En interrogeant quelques-uns des grands libérateurs du XIXe siècle (Daniel O'Connell, Simon Bolivar, Louis-Joseph Papineau, Jules Michelet, Charles Chiniquy, Abraham Lincoln, Hong-Sieou-Tsuan dit Shang-Ti et Walt Whitman), en ayant pour compagnon ce gigantesque orignal épormyable que fut le poète Claude Gauvreau, Habaquq Cauchon se forge une identité telle qu'elle en devient souveraine à jamais par toute l'indépendance qui la porte enfin.